Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
426
CONCLUSION.

trouver chez eux de très bonnes leçons de modestie, de réserve, de tolérance : Cicéron est un fort bon maître. Beaucoup de philosophes, beaucoup de savants même auraient tout à gagner à séjourner quelque temps à l’école de la nouvelle Académie. Mais ce n’est pas ici le lieu d’insister sur cette apologie. Bornons-nous à répéter que leur théorie de la connaissance est précisément celle qui prévaut de nos jours. Ce sont eux, et non pas les sceptiques, qui sont les précurseurs de la science moderne : Carnéade est l’ancêtre de Claude Bernard.

Il faut faire justice d’une objection banale cent fois invoquée contre le probabilisme. Si nous ne pouvons atteindre la vérité, dit-on, comment nous assurer que nous en approchons ? La probabilité est une mesure ; et qu’est-ce qu’une mesure sans une unité ? Mais, en supposant que la vérité nous échappe tout à fait, ne pouvons-nous la concevoir comme un idéal ? Les éléments ne nous font pas défaut pour concevoir cet idéal. Ni les probabilistes ni les sceptiques n’ont jamais contesté que les phénomènes s’imposent à nous avec certitude : la science parfaite serait celle dont les vérités générales s’imposeraient à nous de la même manière ; et la science est d’autant plus parfaite que les propositions dont elle est formée s’imposent à notre esprit avec plus de force, qu’elles sont confirmées par plus d’expériences, qu’elles ne sont jamais en opposition avec un fait avéré. C’est précisément ce que disait Carnéade.

Pour revenir au scepticisme, on voit à présent où est le malentendu que nous signalions tout à l’heure comme l’origine de toutes les difficultés. Définit-on la certitude suivant l’ancienne formule ? La prend-on pour l’adhésion à une vérité non seulement immuable et universelle, mais définitivement et pleinement possédée dès à présent par l’esprit, si bien qu’il y a équation complète entre la pensée et son objet, que nous soyons au cœur de l’être ? Alors le scepticisme a raison : le dogmatisme n’a rien de sérieux à lui opposer. Entendons, au contraire, comme nous le faisons tous les jours, par certitude, l’adhésion à une vérité, immuable sans doute et absolue en elle-même,