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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/98

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LIVRE I. — CHAPITRE IV.

une seule fois. On pourrait lire ces fragments sans se douter qu’on a affaire à un sceptique. Il est clair toutefois que de là on ne peut rien conclure.

Si, à défaut du texte même de Timon, manifestement trop incomplet, nous consultons les divers renseignements indirects qui sont arrivés jusqu’à nous, plusieurs indices nous portent à croire qu’il avait déjà donné à son scepticisme la forme savante et dialectique que lui conservèrent les sceptiques ultérieurs.

Nous savons, en effet, par Sextus qu’il avait écrit : Πρὸς τοὺς φυσικούς. On pourrait croire, il est vrai, qu’il a traité les physiciens comme il avait traité les philosophes, en raillant et en injuriant plutôt qu’en discutant. Mais deux allusions faites par le même Sextus donnent à penser que Timon avait engagé une discussion en règle contre le dogmatisme des physiciens. Il disait[1], en effet, que, dans les débats avec les physiciens, la première question est de savoir si ces derniers prennent pour point de départ une hypothèse. L’hypothèse, en langage sceptique, c’est ce que nous appelons une proposition évidente ou un axiome : c’est une proposition qu’on ne démontre pas. Refuser d’admettre aucune hypothèse, et c’est vraisemblablement ce que faisait Timon, c’était donc rendre toute démonstration impossible. Si telle était vraiment sa façon d’argumenter, ce serait déjà un des cinq tropes d’Agrippa.

Dans un autre passage, Timon, selon Sextus[2], démontrait que le temps n’est pas indivisible, car dans ce qui est indivisible il est impossible de distinguer des parties ; par suite, dans un temps indivisible on ne pourrait distinguer ni commencement ni fin. Voilà un raisonnement analogue à ceux que firent plus tard les sceptiques sur toutes les questions de physique ; le fait que

  1. Sextus, M., III, 2.
  2. M., VI, 66. Cf. X, 197. Dans ces deux passages, la seule chose qui soit attribuée à Timon, c’est que le temps ne peut être indivisible. Qu’il ne puisse pas non plus être divisible, c’est ce que soutient Sextus et ce que réclame la thèse sceptique. Mais cette assertion n’est pas formellement attribuée à Timon. Il se peut que Timon ait affirmé l’indivisibilité du présent à propos d’une autre question ; on n’a pas le droit de lui prêter toute l’argumentation de Sextus.