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la garçonne

Monique a huit ans. Elle a poussé en longueur. Elle tousse souvent. Aussi, quand elle va se promener au bord de la mer, ordre à Mademoiselle (ce n’est plus la veuve, mais une Luxembourgeoise qu’elle n’aime pas, et qui a des joues de ballon rouge) de ne pas la laisser grabouiller, jambes nues, dans les flaques rocheuses où la crevette frétille. Ordre de ne pas même la laisser courir devant le flux, sur le sable qui, mouillé, se durcit. Elle ne peut ramasser ni les algues fraîches qui sentent tout l’océan, ni les coquillages dont la conque nacrée enclot le bruit des vagues… « Qu’est-ce que tu veux faire de ces saletés ? Jette ça ! » a déclaré maman, une fois pour toutes.

Monique ne peut pas non plus lire comme elle le voudrait (l’attention donne des maux de tête). En revanche elle doit faire régulièrement une heure de gammes (elle a beau dire que ça la rend folle, il paraît que c’est une discipline, pour les doigts). Alors, si c’est ça les vacances, Trouville est plus ennuyeux que Paris !

D’ailleurs elle y voit encore moins ses parents. Maman est toujours en automobile, avec des amis. Et le soir, quand elle dîne, — c’est rare, — elle part, aussitôt après s’être rhabillée, danser au Casino. Très tard… Aussi, le matin, elle dort. Papa ? Il ne vient que le samedi, par le train des maris. Et le dimanche il reste avec des messieurs, pour ses affaires.

La grande corvée, c’est quand maman « fait plage ». On regarde se croiser, sur les planches, les files montante et descendante. On dirait un magasin de blanc. Les mannequins s’exhibent, tous pareils, en rangs pressés. Les messieurs-dames qui font cercle,