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la garçonne

n’est tout de même pas comme avec l’Américaine ?… On doit rester camarades…

Un tango déroulait, comme un lien, ses premières mesures. Il se leva :

— Allons ! Pour faire jaunir Niquette.

— Mais Briscot, si jamais cela me faisait plaisir d’imiter l’Américaine… Eh ! là ! bas les pattes ! Je n’ai pas dit : avec vous, — pourquoi Niquette ne le saurait-elle pas ? On n’est pas mariées, d’abord. Et si on l’était, raison de plus pour être francs !

Elle avait mis machinalement une main dans celle de Briscot, l’autre sur son épaule. Il enserra, discrètement, la taille ronde. Elle ployait au balancement du rythme. Il sentait, contre sa poitrine, la ferme tièdeur des jeunes seins blottis.

Souvent, depuis qu’elle faisait ménage, et le meilleur, avec Niquette, Monique avait dansé avec des hommes. C’étaient les seuls partenaires que lui permit, en dehors de quelques amies éprouvées, une jalousie dont elle s’amusait, comme d’une marque d’affection. On n’a de tendresse exclusive que dans un sentiment sincère. Elle ne songeait pas à s’offenser d’une vigilance qui ne pouvait être blessante, étant données leurs conventions de réciproque aveu, si quoi que ce soit le motivait…

La seule éventualité que la tolérance de Niquette, rassurée quant au danger masculin, n’eût pas prévue, c’est qu’à la longue pouvait naître, de ces frôlements renouvelés, quelque combinaison d’électricités inattendue. Cent fois Monique avait tourné au bras de cavaliers charmants, sans penser à prendre d’autre plaisir que celui d’un enfant qui s’agite, innocemment. Il était fatal qu’un jour, dans ce vertige de