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la garçonne

Monique a quatorze ans. Elle ne se souvient pas d’avoir été une enfant souffreteuse. Elle a la robustesse d’une jeune plante qui a trouvé son terrain, et surgi dru.

Elle est à l’âge merveilleux des lectures, où le monde imaginaire se découvre, et où la jeunesse enveloppe, de son voile magique, le monde réel. Elle n’a pas la notion du mal, tant la vigilance de son éducatrice l’a sarclé, dans cette âme naturellement saine. Elle a en revanche le sentiment et l’appétit du bien.

Pas rêveuse, mais croyante. Non plus en Dieu, car sur ce point elle s’est dégagée des concepts contradictoires de l’abbé Macahire et d’Élisabeth Meere. Elle s’est insensiblement et d’elle-même convertie au matérialisme raisonné de tante Sylvestre, tout en gardant comme elle une empreinte spiritualiste. Mais elle manifeste en plus, — ferment de son double et premier mysticisme, — quelque tendance à l’absolu. C’est ainsi qu’elle a horreur du mensonge, et adore, religieusement, la justice.

Elle a toujours pour grande amie Élisabeth Meere. Celle-ci a changé de culte, et de luthérienne est devenue sioniste. Elle est, depuis trois ans, toujours éprise de Monique. Elle l’est d’autant plus qu’elle l’a désirée sans espoir. Elle va quitter bientôt le pensionnat, et son hypocrisie recule devant l’évidente pureté de l’adolescente. Ses baisers voudraient appuyer, et n’osent.

Monique, — qui éprouve pour le professeur de dessin, (un ancien prix de Rome ressemblant à Alfred de Musset,) une passionnette sentimentale, — est aussi loin de se douter des goûts de Zabeth que