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la garçonne

dépression qu’elle traversait. Quant à l’intervention chirurgicale, quelle raison de la tenter, puisque personne ne l’aimait, et qu’elle n’aimait personne ?

Dès lors, elle se trouva sans forces pour remonter le courant. Elle se rendait compte que chaque abdication de volonté multipliait sa faiblesse. Elle se laissait aller, en fermant les yeux, à la fatalité qui l’entraînait…

Un incident qui à la réflexion n’avait rien qui pût l’étonner, mais dont l’imprévu la surprit, acheva d’exacerber, jusqu’au point morbide, sa misanthropie,

Plombino, qui depuis sa démarche infructueuse n’avait cessé de la poursuivre, se trouvait, comme par hasard, à côté d’elle à table dans un grand dîner, donné par Mme Bardinot. Prétexte : fêter la nomination de son mari à la présidence de la Banque des Pétroles Réunis. Motif : faciliter au baron l’entretien dont sa hantise escomptait une solution heureuse. Sa passion contrariée tournait à l’idée fixe. Il eut la force de se contenir, jusqu’à la fin du repas. Comme on achevait le dessert, il n’y tint plus, et, congestionné, frôla la jambe de Monique, d’un genou insistant.

Elle avait tourné vers le pachyderme un visage résolu :

— Vous êtes malade ?

Il renifla, les yeux fixés sur le décolleté d’où jaillissaient la rondeur des épaules, les bras de statue vivante, le dos velouté. On se levait de table, elle dut accepter de poser sa main sur le rond de coude qu’il offrait, gauchement. Alors, de sa voix molle, il s’était dégonflé, avec une émotion sincère.

— Écoutez-moi ! Je fous aime… Vous m’avez