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la garçonne

refusé de meubler l’hôtel du parc Monceau. Pourquoi ?… J’aurais payé cet honneur deux cent mille francs d’honoraires et un million de crédit ! Davantage, si fous l’aviez voulu. Je donnerais tout ce que j’ai, tout, pour fous plaire…

Elle eut un rire insolent :

— Je me suis trompée. Vous n’êtes pas malade, vous êtes maboul.

Ils pénétraient dans le salon. Elle quitta vivement le bras du baron. Mais il lui avait saisi la main, et l’attirant dans un coin de palmiers, fermé d’un paravent :

— Je sais que l’archent ne compte pas pour fous. Fous êtes riche, et fous le serez, plus tard, à ne savoir que faire…

— Détrompez-vous. Il y a des pauvres, en France ! Et il y a, en Russie, des millions d’êtres qui crèvent de faim. Donnez-leur d’abord ce que vous m’aviez proposé. Nous verrons, ensuite, si je vous fais l’honneur de travailler pour vous.

La famine de la Volga, entassant aux portes des cimetières les enfants par monceaux de cadavres, la misère poussée jusqu’au cannibalisme, cette vision des atrocités qui ravageaient un peuple dont le sang fraternel avait coulé, deux années durant, dans la commune boucherie, fit pâlir Monique… Les yeux baissés, elle songeait aux galas d’antan, aux Tsars acclamés par Paris et aux Présidents de la République fêtés dans les Palais Impériaux… C’étaient les millions tirés par les Plombino, les Ransom, les Bardinot d’alors, du bas de laine paysan et du coffre-fort bourgeois, — les millions sur lesquels tous ces forbans s’étaient engraissés au passage et dont la