Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/189

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
187
la garçonne

dans les deux petites pièces qu’à double fin elle avait aménagées à Montmartre. Au sortir des music-halls et des boîtes de nuit, où de nouveau elle se montrait assidue, c’était commode, cette salle de bains et ce salon, meublé seulement d’un immense divan.

Tremplin propice au rêve toujours plus fréquent des fumeries, et parfois, aux réalisations d’exercices sexuels. Elle avait pris, de ses interminables séances chez Anika, le besoin d’avoir, en véritable opiomane, sa propre installation, et, de ses fréquentations improvisées (généralement à trois ou à quatre), celui d’un champ de manœuvres suffisamment vaste…

Elle s’étira, désœuvrée. Puis, ayant fermé ses volets au grand jour, elle se réétendit sur son lit défait. Les yeux clos, elle chercha longtemps le sommeil. Elle songeait, avec un dégoût fait aussi d’un remords, à la rue bruyante, aux magasins où Claire et Angibault se multipliaient, au soleil dont la splendeur planait, sur la fourmilière de la ville, en pleine activité de labeur… Et, comme dans un coma, elle se sentit descendre, voluptueusement, à travers son néant.

Elle ne s’éveilla qu’au soir tombant, avec le sentiment d’une journée encore gâchée. Mais qu’est-ce que cela faisait ? Maintenant le jour pour elle ne commençait qu’avec la nuit… La nuit, où — l’ivresse du stupéfiant aidant et l’imprévu des rencontres mouvementant un peu son éternel À quoi bon, — elle se figurait vivre intensément.

Elle usait, aux rites mécaniques de la toilette, d’interminables instants, s’attardait à des choix et à des combinaisons de robes, elle jadis habillée, et si vite, d’un rien… Futilités qui la menaient à neuf heures où, généralement, elle dînait.