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la garçonne

toute, stérilement, au rêve… Mais, cette fois, avant pris le poison à doses massives, elle n’éprouvait qu’un désir : en prendre encore…

L’abrutissement ? Non, l’anéantissement, le merveilleux mépris de tout ce qui n’était pas la béatitude dont, à la première pipe, elle sentait le bienfait, et dont, à la vingtième, elle était pénétrée jusqu’à la jouissance suprême : dissoute, volatilisée !

Elle trouva, comme elle s’y attendait, Anika prostrée sur ses coussins, dans le noir. La minuscule lampe, aveuglée à demi par un papillon d’argent, luisait faiblement, sur le plateau des ustensiles. On eût dit une veilleuse funéraire.

— C’est moi, dit Monique. Ne bouge pas.

En sortant de l’éclatant crépuscule d’été, l’atelier aux tentures hermétiques, tout imprégnées de la pesante odeur, lui fut doux comme une grande tombe. Mais déjà Anika avait tourné le commutateur. La lanterne éclaira, d’un feu pourpre, la fumeuse couchée, l’attirail rituel. Le visage de la violoniste apparut cadavérique, la chair plaquée sur l’ossature brune…

Elle déclara d’une voix enrouée :

— Tu tombes mal. Pas de confiture !

— Je croyais…

— Non. Le type qui devait me l’apporter, — et de la bonne, directe, arrivant de Londres ! — s’est fait chopper hier, au Saphir… Tu vois ça ? Pas à cause de l’opium, on ne savait pas qu’il en avait… À cause de la coco !… On a raflé le tout.

Elle ricana. Et, loquace, jeta d’un trait, avec cette volubilité mécanique que lui donnait la poudre blanche :

— Ce qu’ils nous embêtent, tous ces poireaux du