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la garçonne

Le bruit se répercutait en elle, multiplié… Mais, bientôt, l’onde sonore s’effaçait. Les murs reculèrent. Tout devenait lointain, lointain, en même temps que s’assourdissait, au point de n’être plus qu’une confidence chuchotée, la verbosité saccadée d’Anika. Le temps avait cessé d’être. L’espace s’était empli d’une douceur fluide. Monique éprouvait, extasiée, une double impression de vide et de plénitude.

— Dis donc, — gouaillait la voix, transposée comme si elle venait d’un autre monde, — ça te fait de l’effet !… Et si tu avais pris un peu de coco !… Moi, c’est mon troisième gramme depuis hier. Tu vois ça ?… Il n’y a pas à dire… c’est ce qu’on a inventé de mieux, ces drogues-là, pour vous guérir du mal de mer… L’existence, moi, ça me fait vomir… Une bonne pipe, une bonne prise ! cela remet les boyaux en place… Supprimer l’opium et la coco, tu vois ça ?… Faut-il être assez bête ! C’est comme un médecin qui vous refuse de la morphine, quand on souffre ! Il y en a, sous prétexte qu’on y prend goût !… Alors on pourrait plus même claquer en douce ?… De quel droit ces salauds voudraient-ils me condamner à la vie ? C’est ma guenille, c’est pas la leur… Pour ce qu’on y fait de beau, dans leur boutique !… Tu vois ça ?… Ah ! la ! la !… L’amour, d’abord, ça n’existe pas, c’est des bruits qu’on fait courir ! Y a que des bêtes qui se déchirent, quand elles ne se baisent pas. Le plaisir ?… oui, le cul ! Un cul-de-sac, on en voit vite le fond !… L’art ?… Oh ! ma chère ! oùs–qu’est mon violon !… Du talent, oui, j’en ai eu, peut-être… Oui, oui, une grande artiste, c’est entendu !… Y a longtemps. Et après ?… Chopin aussi, a eu du talent. Seulement, lui, il a pu au moins