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la garçonne

croquer ses notes… Ça reste. Moi, fallait bouffer… Tu vois ça ? J’ai joué la musique des autres… Une ratée, quoi !… Pas même d’enfants ! Une propre à rien !…

Elle ouvrit, nerveusement, sa bonbonnière, y puisa une copieuse prise. Et, autoritaire :

— Prends, je te dis ! C’est le vrai remède… Avec ça, le reste, on s’en fout !…

— Non ! dit Monique, j’aime encore mieux ton sale drops.

La violence de la sensation première s’était dissipée. Elle se remit patiemment à façonner, puis à cuire ses boulettes, mais elle ne réussit plus à les fumer d’un seul trait. Alors, nerveuse à son tour, et ne trouvant pas le calme qu’elle poursuivait, elle suivit le conseil d’Anika, prisa coup sur coup.

Mais loin de la détendre, la dangereuse poudre, mal dosée, exaspérait son agitation. Elle crut avoir, soudain, un visage de bois, le nez, le front, les tempes durcis, dans une anesthésie si brutale qu’elle se sentait devenue machine. À son tour, inlassablement, elle se mit à moudre des paroles, dans le vide. Une insensibilité complète la roidissait. Avec des gestes secs, elle continuait à pérorer, sans arrêt…

Toute la nuit, séparées par le plateau où à l’aube la lampe s’éteignit, elles conversèrent ainsi, comme des sourdes.

Quand Monique se réveilla, glacée, il était plus de midi. L’atelier restait mystérieux, dans sa pénombre. Anika dormait encore, si blême qu’elle la contempla, avec inquiétude. On eût dit une morte. Elle toucha Sa main qui était froide… Mais un souffle court soulevait, régulièrement, la poitrine plate… Monique partit, sans la déranger.