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la garçonne

Brusquement cabrée sous la voix cinglante, elle cria :

— Tu ne me fais pas peur ! En voilà assez !… Rien ne m’empêchera de partir ! Rien. Il faudrait me tuer, pour que je reste !… Moi c’est fini, fini. Laisse-moi passer. Tu te consoleras, avec Julia !… Une femme de ménage, c’est tout ce qu’il te faut.

Il vit rouge, mais elle marchait sur lui avec une telle exaltation qu’il hésita. En même temps le roulement de la voiture les surprit. Le cocher appelait.

Elle se précipita :

— C’est vous, père Brun ! Montez !

Vivement elle gagnait sa chambre, suivie par Régis, décontenancé. Mais, à la vue de l’homme qui arrivait, bonasse, il rebroussa chemin, rentra dans le petit salon, en claquant violemment la porte et s’enfermant, à double tour… Presque aussitôt elle entendit les volets s’ouvrir et se rabattre avec fracas.

Vivement elle ferma les malles, que le père Brun descendit l’une après l’autre, avec Julia : elle soufflait, les seins écroulés, sous le caraco. Monique la suivit, talonnant son large dos incliné sur la lourdeur du faix. Une hâte l’élançait : fuir, quitter ces lieux soudain pris en haine, le fauve enfermé, là-haut !

Elle ne prit pas le temps de boutonner son manteau, sauta dans l’omnibus sur le toit duquel le cocher arrimait les malles. Dans la clarté jaunâtre des lanternes, le cheval fumait, sous l’averse. Julia se tenait éberluée, sur le seuil.

Monique se pencha, pour lui dire : « Au revoir » et aperçut, à la fenêtre ouverte du premier, Régis qui se découpait en noir, sur le fond lumineux. Il tétait sa pipe, avec une rage farouche…