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sentait plus vieux, à quarante ans, que n’étaient ses amis Ambrat, à soixante… Il leur répétait : « Je suis un homme fini. — Parce que vous êtes un homme seul ! rétorquaient-ils invariablement… Mariez-vous !… »

Alors il allait prendre, sur un rayon de la bibliothèque, son premier livre et le leur montrait, par plaisanterie : « — Du mariage et la polygamie ! Je suis comme ces cuisiniers qui ne mangent pas de leur cuisine ! J’ai beau avoir écrit que le mariage était une fin, je pense que c’est un commencement ! J’ai dit qu’il n’avait rien de commun avec l’amour. Je ne le conçois pas sans… — Mais, répondait toujours Mme Ambrat en montrant son mari, s’il est vrai que le mariage et l’amour coïncident rarement, ils ne sont pas incompatibles… Exemple. Laissez-moi faire ! On vous aimera, et vous vous marierez !… »

Après sa rencontre au Louvre avec Monique, la sympathie nouée entre eux, et depuis resserrée par une tacite entente à chacune des brèves heures où ils s’étaient retrouvés, — loin de détendre sa sensibilité rétractile, — l’avait exaspérée. À voir aux griffes de Boisselot cette femme qu’il estimait d’élite, et qu’inconsciemment déjà il aimait, il avait été repris de la même neurasthénie qu’aux soirs de boue, dans la fosse de terre…

Et puis, brusquement, le cri qui lui déchirait encore les entrailles ! Et le coup de feu après lequel il se réveillait un autre homme, dans le doux lit où elle avait couché… Et l’apparition ! L’avenir resurgi, avec la forme blanche, les bons yeux où brillait la vie !…

Il ferma ses paupières, comme Monique achevait