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la garçonne

que les femmes s’installaient à leur table de bezigue. Et lâchant enfin, malgré elle, la préoccupation qui la tourmentait :

— Dis donc, papa ! À propos de Lucien, j’ai reçu ce soir une drôle de lettre. Une lettre anonyme.

Mme Lerbier se retourna :

— C’est classique ! Et qu’est-ce qu’elle raconte ?

Monique résuma, sans quitter son père du regard. Elle avait, tout en parlant, la gorge serrée. M. Lerbier leva les bras au ciel, mais sans répondre.

— Enfin, papa, si l’accusation était vraie, s’il y avait réellement, rue de Vaugirard, une Mlle Lureau ?

Il déclara, avec une conviction à demi-sincère :

— Tu penses bien que je le saurais ! On ne donne pas sa fille à quelqu’un sans s’être entouré de tous les renseignements…

Elle respira.

— J’en étais sûre ! C’est comme pour cette Cléo, n’est-ce pas ?

M. Lerbier ne s’avançait que prudemment, sentant le terrain dangereux. Il affirma :

— Tu penses bien qu’un homme, à trente-cinq ans, n’a pas toujours vécu comme un ermite !… Je ne dis pas que ton fiancé n’ait pu avoir, comme les autres, de petites aventures… Oh ! sans importance ! Tout cela est fini, enterré, avec sa vie de garçon…

— Il y a encore quelque chose qui me tracasse. Cette lettre prétend que Lucien, en m’épousant, fait une affaire… Je ne vois pas laquelle ?

M. Lerbier se gratta la tête. Le moment difficile était venu…

— Une affaire ? Oh ! Dieu non… Je puis t’affirmer qu’à ce point de vue il montre beaucoup d’élégance,