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la garçonne

reur. Le garçon, qui venait de refermer la porte du salon sur l’effarante vision, s’approcha, obséquieux :

— Madame désire ?…

Elle balbutia : « La table de M. Plombino… » Et elle pensait : « Mais alors, la lettre anonyme… »

Au nom fameux, le garçon plongea :

— C’est en bas, madame. Si madame veut que je la conduise…

— Non, merci !

Comme une folle elle tourna le dos, et, pour remâcher toute sa douleur, prit si rapidement l’escalier par lequel Lucien était monté que le garçon ne put que lui crier :

— Pas par là, madame !… Pas par là.

Elle était déjà dans la rue, longeait la file des autos. Les chauffeurs causaient entre eux. Elle passa devant la Vigneret. Marius l’aperçut, et, surpris, souleva machinalement sa casquette :

— Mademoiselle !

Alors, — comme si elle avait eu besoin de cette dernière preuve, — elle réalisa seulement, et soudain, toute sa révolte et toute sa douleur. Elle revint sur ses pas, croisa de nouveau Marius. Mieux avisé cette fois, il fit mine de ne pas la voir. Elle reprit l’escalier des salons, eut la présence d’esprit de dire au garçon qui, soupçonnant quelque événement insolite, la regardait, ahuri :

— J’avais oublié quelque chose dans l’auto.

Et, d’un pas d’automate, elle redescendit au restaurant. La tablée l’accueillit par des ah ! enthousiastes. Plombino lui désignait sa place… « À côté de moi ! » Mais, sans s’asseoir, elle se pencha vers sa mère et lui dit à l’oreille.