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la garçonne

que je souffre ! Je ne suis pas jalouse, parce que je n’aime plus.

— Alors tu n’aimais pas !

Mme Lerbier regarda sa fille avec une autorité doctorale, l’espérance aussi que dans ces conditions tout n’était peut-être pas encore perdu. Du moment que l’amour tout court n’était pas en cause, on ne rompait pas, par amour-propre, des accordailles officielles.

— Il faut n’avoir jamais aimé pour croire qu’à la première tromperie un sentiment véritable peut disparaitre, comme une allumette s’éteint.

— Tu fais erreur, maman. Ma douleur vient au contraire de ce que j’avais voué à Lucien un amour si confiant, si grand que tu ne peux même l’imaginer…

— Dans ce cas, lorsque cet imbroglio sera élucidé, j’espère que…

— Non, maman, c’est fini. Rien ne peut plus s’arranger.

— Pourquoi ? Parce que ton fiancé t’a menti ? Mais si c’était pour t’épargner un tourment inutile ?… Un chagrin que sans ce hasard déplorable tu n’aurais pas eu ? Tu lui reproches ce qui n’a été peut-être qu’une attention délicate… un ménagement qui le montre plus soucieux de ton repos, peut-être, que du sien…

— Tu ne comprends pas ! soupira Monique avec une amère tristesse. Pour toi, le mensonge de Lucien n’est rien. Si c’est presque une bonne sinon une belle action !… Pour moi, c’est une faute impardonnable… Pis qu’une escroquerie. Un meurtre !… Le meurtre de mon amour, de tout ce que j’y enfermais de pur, d’ar-