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la garçonne

dent, de noble ! Je t’étonne. Oui ?… c’est qu’entre la façon dont tu envisages le mot et celle dont je conçois l’idée, il y a une muraille de Chine ! Nous vivions à côté l’une de l’autre, et je m’éveille à mille lieues… Sache-le, puisque ce qui se débat ici, c’est ma vie et non la tienne !…

— Tu souffres… et tu exagères.….

— Je ne t’ai pas encore dit tout ce que je pense !

Mme Lerbier haussa les épaules :

— Tu t’exagères en tout cas la portée du faux-pas de Lucien. Crois-moi. Si toutes les femmes abordaient le mariage avec l’esprit d’intransigeance que tu affiches, il n’y aurait guère de publications de bans ! En revanche, il n’y aurait pas assez de registres pour les transcriptions de divorce ! Mais pas un mariage, ma petite, pas un n’y résisterait. Il faut te faire une raison, avoir un peu de bon sens. Oui, le romantisme, les comédies de Musset, À quoi rêvent les jeunes filles !… Et tu dis que tu t’éveilles ? Eh bien ! ouvre les yeux, regarde autour de toi, sois moderne.

— Le rêve de Ginette et de Michelle n’est pas le mien.

— Le rêve de toutes les jeunes filles est le mariage. Une association sans rapports obligatoires avec l’amour. Et le mariage est… ce qu’il est… Prétends-tu réformer d’un coup la société ?.…

— Non certes ! pas plus que tu ne dois prétendre à me faire voir dans le mariage autre chose qu’un besoin d’union absolue, une mise en commun de tout l’être, sans restriction d’aucune sorte ! Le mariage sans l’amour n’est pour moi qu’une forme de prostitution. Je n’aime plus Lucien, et je ne me marierai jamais !