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Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/123

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industries rurales qui servaient d’auxiliaires. Les maisons où résonne encore le cliquetis du métier à tisser se font rares. Après s’être multipliée jusqu’à un degré qu’atteignent rarement les pays agricoles, la population éclaircit ses rangs. Mais le mode de peuplement ne change pas. Ces unités agricoles subsistent, telles que les conditions du sol les ont très anciennement fixées, dans le cadre monotone et grave des champs ondulant sous les épis ; et j’imagine qu’un contemporain de Philippe-Auguste ne s’y trouverait pas dépaysé.


VIII L'EAU EN PICARDIE

Pourquoi ces villages souffrent-ils souvent en été de la sécheresse ? Pourquoi des lieues se passent-elles sans voir eau courante ? Et que deviennent les 6 à 700 millimètres d’eau qui tombent par an, dans un climat où l’évaporation n’est pas capable d’en soustraire beaucoup à son profit? Cette eau s’infiltre dans la masse fissurée et homogène de la craie blanche. Elle l’imbibe entièrement, comme une éponge : mais elle finit pourtant par trouver des couches plus compactes, qui l’arrêtent. Ainsi s’établit un niveau au-dessus duquel les croupes et les vallées faiblement creusées sont à sec, au-dessous duquel au contraire la nappe souterraine, par suintements, par sources, affleure à la surface. Pas de source à flancs de coteaux, comme celles que signalent des peupliers sur les collines des environs de Paris. Une source initiale, somme, fait son apparition dans le fond d’une vallée qui se prolonge en amont, mais sans eau permanente. Elle est sujette à reculer vers l’aval, si le plan d’eau s’abaisse. Mais à partir du moment où le courant définitif s’établit, il ne cesse pas de se renforcer d’afflux souterrains. Désormais, entre les croupes molles et jaunes, l’eau surabonde sous toutes les formes, rivière, étangs, canaux, marais ou tourbières. Tandis que les villages des hauteurs souffrent de la soif, l'hortillonneur ou maraîcher circule en barques autour de Péronne ou d’Amiens.

Il y a ainsi, dans ces régions de la craie, une vie des vallées, et une vie des plateaux. Chacune se meut dans un cadre et des conditions diverses. Elles coexistent en Picardie, grâce à la fertilité des plateaux et à l’humidité qu’entretiennent çà et là les argiles éocènes ; tandis qu’en Champagne la vie est absente ou languit sur les plateaux presque réduits à leur maigre tuf. Mais dans l’une et dans l’autre de ces contrées une vie particulière s’éveille avec la réapparition des eaux courantes. Les rivières sortent toutes formées. Moulins, usines, villes se succèdent presque dès leur source.

C’est surtout autour du dos de pays qui s’élève lentement jusqu’au bord du grand sillon de l’Oise que la craie laisse échapper les eaux qu’elle avait emmagasinées. Les sources de la Somme et de l’Escaut sont à peine distantes de 12 kilomètres. Ce renflement, bien qu’il ne dépasse pas 140 mètres de hauteur, prend un aspect particulier de monotonie et même de solitude. L’intervalle s’étend entre les villages ; les croupes se déroulent plus ternes que jamais : et de l’eau enfouie en profondeur il n’y a d’autre trace que des