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Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/140

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taillée, en parenté avec ce qui l’entoure, l’insolente expression d’une large opulence rurale :


VI REIMS, CAPITALE HISTORIQUE

« Roi ne suis », disait le maître du lieu: « je suis le sire de Coucy ».

Nous sommes habitués à faire pivoter notre histoire autour de Paris : pendant longtemps elle a pivoté entre Reims, Laon, Soissons et Noyon. C’est à la convergence des rivières que Paris a dû progressivement son importance ; Reims a dû la sienne au remarquable faisceau de vallées qu’il commande. A portée des ressources de la falaise dont le talus s’incline lentement jusqu’à ses faubourgs et d’où se détachent quelques monticules, à l’entrée d’une des larges et plus directes ouvertures fluviales qui pénètrent dans la région tertiaire, Reims appelait naturellement à lui les voies de la Bourgogne, de la Champagne, de la Lorraine vers la Flandre et la Grande-Bretagne. Elles pénétraient par là dans une des régions les plus propres à réaliser un précoce développement politique, car tous les éléments d’aisance et de bien-être s’y trouvaient concentrés. Reims devint ainsi, grâce au réseau des voies romaines, un carrefour où, de la Marne, de la Meuse à l’Escaut, tout aboutissait, d’où tout partait. Ce fut la métropole de la Deuxième-Belgique, c’est-à-dire d’un groupement très ancien, qui a failli rester dominant dans notre histoire. Reims capitale politique de la France, comme elle en fut longtemps la capitale religieuse, eût joué entre le Rhin moyen et les Pays-Bas un rôle de rapprochement dont l’absence se fait sentir dans notre histoire.

Du moins c’est autour de ce centre politique et religieux qu’a gravité cette région de Noyon, Soissons et Laon, qui prolonge la Picardie jusqu’au seuil de la Champagne. Il suffirait de rappeler, comme une preuve de précoce importance nationale, la floraison de souvenirs, contes, légendes, qu’elle a légués au patrimoine commun dont notre enfance est encore bercée. Ce fut un foyer riche et vivant. Ses saints sont des hommes d’actions, qui par là plurent à ce peuple, et qu’il s’amusa à ciseler à son image. Saint Rémi, saint Éloi, saint Médard, saint Crépin sont des saints familiers, que l’imagination populaire adopte et avec lesquels elle prend ses libertés. Reims résume et incarne tout un cycle de légendes. C’est bien, comme on l’a dit, « la plus française » de nos cathédrales ; toujours prête et parée pour le sacre ; traduisant en sculpture la légende de Clovis et de saint Rémi.

Quand une contrée a été vraiment le berceau d’une civilisation originale, elle garde l’empreinte ineffaçable du moment où celle-ci a atteint son apogée. Le reflet de la civilisation du XIIIe siècle brille encore sur ce pays du Laonnais ; un coin de ruine, le style d’un moulin, d’une vieille ferme, d’une église de village montrent qu’un souffle d’art et de richesse a pénétré partout. Il fut un temps en effet où ce pays n’avait guère de rival au monde