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Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/54

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IV ASPECT GEOGRAPHIQUE DE LA QUESTION

Le secret de ces civilisations primitives est géographique autant qu’archéologique ; comment la géographie n’aurait-elle pas son mot à dire sur les conditions qui les ont formées, et sur les voies qu’elles ont suivies ?

Les fleuves, dans nos contrées d’Europe, n’ont pas été, autant qu’on le dit, des chemins primitifs de peuples. Leurs bords, encombrés de marécages, d’arbustes et de broussailles, ne se prêtaient guère aux établissements humains[1]. Les hommes se sont établis de préférence sur les terrains découverts, où ils pouvaient pourvoir le plus facilement à ces deux besoins essentiels, abri et nourriture. La qualité des terrains fut surtout ce qui les guida. Il y a des terrains où l’homme pouvait plus aisément mouvoir sa charrue, bâtir ou se creuser des demeures : pendant des siècles les populations ont continué à se concentrer sur ces localités favorisées. Successivement de nouveaux venus plus forts s’y sont substitués ou plutôt superposés à d’anciens occupants : toujours sur les lieux mêmes qui avaient déjà profité d’une première somme de travail humain. Quand des migrations se produisaient, elles étaient dirigées par le désir d’obtenir des conditions égales ou meilleures, mais toujours analogues, d’existence. Comme aujourd’hui c’est la terre noire que le paysan russe recherche en Sibérie, c’était en quête de terres fertiles et faciles à cultiver, déjà pourvues d’un certain degré de richesse, que se sont acheminés les Celtes dans leurs migrations successives vers la Gaule ou vers le bas Danube, les Germains dans leur marche ultérieure des bords de l’Elbe à ceux du Rhin. Tout le mouvement et toute la vie ont été longtemps restreints à certaines zones. Lutter contre les marécages et les forêts est une dure et rebutante tâche à laquelle l’homme ne s’est décidé que tard. Ce n’est qu’au moyen âge que le défrichement, dans l’Europe centrale, commença à attaquer en grand la forêt.



V ROLE DE LA FORÊT DANS LES DIVISIONS PRIMITIVES DE L’EUROPE

Assurément la surface forestière est loin de représenter dans son étendue présente l’étendue que les forêts occupèrent aux débuts de la civilisation de l’Europe. Mais elle en retrace les linéaments. Si la forêt a cédé du terrain à la culture, elle est restée, du moins dans la partie centrale et occidentale de l’Europe, en possession des sols que leur nature rendait rebelles ou très médiocrement propices à tout autre genre d’exploitation. Elle a persisté sur place, en se transformant il est vrai. De la forêt primitive, chaos d’arbres pourris et vivants, horrible et inaccessible, il n’y a dans l’Europe centrale que quelques coins retirés du Bœhmer Wald qui, dit-on, offrent encore une image. Mais la forêt, même humanisée, est un héritage direct du passé. Les arbres qui enveloppent nos Vosges plongent leurs racines dans un

  1. On peut s’assurer aujourd’hui que les établissements fondés sur les alluvions récentes de nos fleuves sont de dates moins anciennes que ceux des bords élevés. On en trouvera plus loin des exemples dans les cartes que nous donnons du Val d’Anjou, du Rhône à Viviers.