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Vienne, le buis jusqu’en Thuringe, l’if, comme le hêtre, bien au delà, jusque vers le Dnieper. Nos arbres méridionaux amis de la lumière, le châtaignier, le noyer, se montrent l’un jusqu’à Heidelberg, l’autre jusque dans les vallées du Neckar et du Main. Le type de hauteur boisée, qui fait de forêt le synonyme de montagne, Forêt-Noire, Forêt de Thuringe, domine également des deux côtés du Rhin. Nulle part ne se concentre un ensemble de différences capable de frapper la vue, de suggérer d’autres habitudes et d’autres manières de vivre. La France a éprouvé du côté de l’Allemagne une difficulté particulière à dégager son existence historique et à marquer ses limites.



II ACTIONS ET RÉACTIONS

Par là, des influences venues de loin se sont toujours fait sentir. On aperçoit distinctement à travers l’obscurité des temps préhistoriques que la marche des migrations, plantes et hommes, a suivi des directions parallèles à celles que tracent les Balkans, les Carpates, les Alpes, de l’Est à l’Ouest. Il semble bien prouvé que non seulement le blé, l’orge et le lin, cultivés aussi sur les bords de la Méditerranée, mais encore le seigle, l’avoine et le chanvre, cultivés seulement dans le Centre et le Nord de l’Europe, sont venus de l’Est. Mais il y a aussi des mouvements en sens contraire ; et l’Ouest de l’Europe n’a pas eu un rôle seulement passif dans ces échanges. Il faut admettre une longue série d’actions et réactions réciproques. La France a participé, vers l’Est, aux palpitations d’un grand corps ; beaucoup d’éléments nouveaux sont entrés par là dans sa substance et dans sa vie.



III PRINCIPALES VOIES DE MIGRATIONS DANS L'EUROPE CENTRALE

Si l’on jette les yeux sur la carte[1] où nous avons essayé de tracer, pour la partie de l’Europe qui nous intéresse, les conditions naturelles des groupements primitifs, on voit plusieurs avenues sillonnent l’Europe centrale de l’Est à l’Ouest : l’une, par la vallée du Danube, aboutit à la Bourgogne ; une autre, par la plaine germanique et la Belgique, pénètre en Picardie et en Champagne ; une troisième suit jusqu’en Flandre les alluvions littorales des mers du Nord. Entre ces zones de groupement et ces voies de migrations, de vastes bandes de forêts ou de marécages s’interposent.

Nous aurons à justifier ces divisions : mais cette carte suggère une première remarque. L’hinterland continental nous assiège, non partout également, mais seulement par quelques voies. Les migrations humaines ne nous sont parvenues que déjà divisées, canalisées en courants distincts. Et cela explique que les populations qui ont atteint notre pays par la vallée du Danube n’eurent ni le même mode de civilisation, ni la même composition ethnique que celles qui nous sont venues par la Belgique, et ressemblèrent encore moins à celles qui ont suivi le littoral du Nord.

  1. Voir la Carte en couleurs tirée hors texte.