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L’étude des sols dans l’Europe centrale est arrivée, par l’observation des restes d’animaux fossiles, à cette conclusion remarquable, qu’après la période glaciaire et dans les intervalles de cette période une nature de steppes s’est étendue sur une partie de l’Europe centrale. L’extension n’a pu être que partielle, car précisément ces indices révélateurs font défaut dans les régions où la forêt, par sa persistance, se montre bien chez elle. Mais au contraire ils abondent dans les nappes de limon calcaire, connu sous le nom de lœss. Les descriptions de Richthofen ont rendu célèbre cette espèce de terrains qu’on trouve dans la zone centrale de l’Europe comme dans la Chine du Nord, et que caractérisent leur couleur jaune clair, leur composition friable et pulvérulente, leur tendance à se découper par pans verticaux permettant d’y creuser des demeures. C’est en premier lieu dans la vallée rhénane, où il occupe de vastes plates-formes, que le lœss a été caractérisé ; mais il se déroule aussi à quelque distance au Nord des Alpes et le long de la lisière septentrionale des montagnes allemandes.

Il est naturel, au point de vue du parti tiré par l’homme, de rapprocher du lœss certains terrains qui lui ressemblent par leurs propriétés essentielles. Telle la fameuse terre noire, qui, couvre en Galicie, Podolie, Russie méridionale, des surfaces de plus en plus étendues vers l’Est ; et les nappes de limon qui, particulièrement épaisses sur les plateaux de la Hesbaye et de la Picardie, occupent dans l’ensemble du Bassin parisien une étendue qu’on peut estimer à cinq millions d’hectares. Voilà, avec quelques autres variétés plus éparses, choisies d’après leurs affinités physiques, quels sont les sols dont nous avons esquissé la répartition, autant que les cartes géologiques et les autres documents en donnent actuellement les moyens.

Ces terrains peuvent avoir leurs égaux et même leurs supérieurs en fertilité, mais nulle part ne s’offraient des conditions plus favorables aux débuts de l’agriculture. Partout aujourd’hui ils se montrent sous l’aspect de campagnes découvertes. La sécheresse entretenue à la surface par la perméabilité du sol favorise plutôt la croissance des céréales que des arbres ; et ceux-ci, d’ailleurs, trouvant peu de prise sur ces couches friables, n’opposaient que peu de résistance au défrichement. La charrue se promène à l’aise sur ces plateaux ou ces molles ondulations naturellement drainées, et préservées par leur hauteur moyenne (200 mètres environ) des dangers d’inondation qui menacent les vallées. Dans l’apprentissage agricole que la nature de l’Europe impose à l’homme, ces régions étaient les moins revêches. Il y fut préservé du rude ennemi qu’il n’a vaincu qu’à la longue, la forêt marécageuse, contre laquelle le feu ne peut rien. Ce n’est pas seulement par la facilité de culture, mais encore par la salubrité qu’y furent attirés les établissements humains : le soleil et la lumière avaient libre jeu, sur ces surfaces découvertes, pour écarter les exhalaisons malsaines entretenues ailleurs par l’épaisseur des forêts. Sur les fonds argileux et tenaces, sur les terrains raboteux de granit ou de grès, dans les régions morainiques où parmi les étangs et les lacs gisent les blocs abandonnés par les anciens glaciers, la forêt se défendit long-