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Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/96

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schistes et des grès cambriens, la Meuse s'encaisse étroitement. De là à Fépin, pendant plus de 30 kilomètres, elle serpente dans la gaine où l’emprisonnent de raides parois. Leurs couches presque partout à vif, rarement dissimulées sous des éboulis, trahissent une énergie de plissements qui ne le cède à aucune des plus hautes montagnes : elles sont ployées et redressées parfois jusqu’à la verticale. Mais à 250 ou 300 mètres environ au-dessus de la vallée, elles s’arrêtent brusquement tranchées par le plan de surface. Où l’on s’attendrait à voir les plis redressés se projeter en pics et en cimes, règnent des plateaux. Les bords alternativement convexes et concaves se correspondent par-dessus la vallée. Si quelques dentelures s’y dessinent par hasard, comme aux « Quatre Fils Aymon », à Château-Regnault, c’est que quelques arêtes de quartz ont opposé à l’érosion une dureté encore supérieure à celle des schistes cambriens. Mais ces murailles ne sont que le soubassement de plateaux singulièrement uniformes, étendus, compacts. Si l’on gravit, par un des rares sentiers qui se détachent à droite ou à gauche, les pentes fangeuses et noires qui montent à travers bois, et que l’on atteigne un point découvert, on embrasse un vaste et plat horizon. De longues lignes unies s’enchevêtrent. Le sentiment de la hauteur ne résulte pas du modelé du relief, mais de la sauvagerie mélancolique de cet horizon défaillis et de tourbières. La forêt, « immense forêt de petits arbres », dit Michelet, semble approcher de sa limite d’altitude, qu’abaisse en effet singulièrement l'humidité du climat. L’illusion de la montagne persiste, sans la montagne.

C’est qu’en effet cette extrémité de l’Ardenne est le noyau le plus anciennement émergé de montagnes que l’usure des âges a aplanies. Quoiqu’elle ait été affectée par des accidents nombreux et répétés, dont quelques-uns récents, la partie du massif que constituent les roches d’âge cambrien n’a pas cessé pendant de longs âges de rester émergée, soit comme île, soit comme continent. Elle a donc subi durant d’énormes périodes l’action des météores. Récemment un mouvement de bascule en a relevé le bord méridional ; mais la topographie nivelée, arasée, conserve intact le type de relief qui rappelle nos plaines ordinaires, et que les géographes, pour cette raison, ont pris l’habitude de désigner par le nom de pénéplaine.


III VALLÉES ARDENNAISES

Ce n’est pas en saillie, mais en creux que s’accentue le modelé. Avant que le bord méridional du massif se relevât, la Meuse s’engageait de plain-pied sur la surface alors plus basse de l’Ardenne ; on distingue ses alluvions anciennes jusqu’à des niveaux de plus de 80 mètres. Le mouvement de relèvement se produisit d’une façon assez graduelle, pour que la rivière n’eût pas à abandonner son lit : mais elle dut l’approfondir. Elle a buriné de plus en plus profondément sa vallée, dans son effort pour rétablir le profil de pente que la surrection avait dérangée. C’est aux dépens de roches très dures que ce travail a dû s’accomplir : aussi la rivière est-elle encore comme ankylosée