Page:Vidocq - Mémoires - Tome 1.djvu/222

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tre, en s’enterrant, pour ainsi dire, dans la paille, ils pouvaient encore défier la rigueur de la saison ; mais venait le départ de la chaîne, et alors, n’ayant d’autre vêtement que le sarrau et le pantalon de toile d’emballage, souvent ils succombaient au froid avant d’arriver à la première halte.

Il faut expliquer par des faits de ce genre la dépravation rapide d’hommes qu’il était facile de ramener à des sentiments honnêtes, mais qui, ne pouvant échapper au comble de la misère, que par le comble de la perversité, ont dû chercher un adoucissement à leur sort dans l’exagération réelle ou apparente de toutes les habitudes du crime. Dans la société, on redoute l’infamie ; dans une réunion de condamnés, il n’y a de honte qu’à ne pas être infâme. Les condamnés forment une nation à part : quiconque est amené parmi eux doit s’attendre à être traité en ennemi aussi longtemps qu’il ne parlera pas leur langage, qu’il ne se sera pas approprié leur façon de penser.

Les abus que je viens de signaler ne sont pas les seuls : il en existait de plus terribles encore. Un détenu était-il désigné comme un faux frère, ou comme un mouton, il était impitoyablement assommé sur place, sans qu’aucun gui-