Page:Vidocq - Mémoires - Tome 3.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le nom de ce ferrailleur : mais je pourrais facilement faire connaître sa boutique, qui, au surplus, est la deuxième à droite, en descendant dans cette rue. C’est le huit ou le neuf mars dernier que j’en fis l’achat ; le ferrailleur et sa femme étaient dans la boutique ; c’était la première fois que j’achetais quelque chose chez eux. »

Trois jours après, Peyois ayant été transféré à Bicêtre, écrivit au chef de la deuxième division de la préfecture de police une lettre dans laquelle il confessait qu’il en avait constamment imposé à la justice, et témoignait le désir de faire des révélations sincères : cette fois, la vérité tout entière allait être connue. Utinet, Chrestien, Decostard, Coco-Lacour, qui étaient venus à l’audience déposer dans le sens de l’imposture, furent tout à coup dévoilés : il devint évident que Chrestien avait fait jouer les ressorts de l’intrigue qui devait amener mon expulsion de la police. Une déclaration que reçut le maire de Gentilly, mit au grand jour toute l’infamie de cette machination[1], dont Lacour, Chrestien,

  1. Cette pièce, à laquelle j’en aurais pu joindre beaucoup d’autres, renferme toute ma justification ; je la reproduis ici textuellement :
    DÉCLARATIONS.

    Des nommés Peyois et Lefebure, relatives au sieur Vidocq, faussement accusé d’avoir fourni de l’argent pour acheter une pince, à l’aide de laquelle un vol s’est commis.

    (Deuxième division. – Preinier bureau. — N° 70,466.)

    « Aujourd’hui treize octobre mil huit cent vingt-trois, à dix heures du matin, nous Guillaume Becodère, maire de la commune de Gentilly, d’après les ordres de M. le conseiller d’état préfet de police, nous sommes transporté en la maison centrale de détention de Bicêtre, où étant, avons fait comparaître par-devant nous, au greffe de ladite prison, André Peyois, détenu par suite d’un jugement qui le condamne à la peine des fers, auquel, après avoir présenté une lettre adressée au chef de la deuxième division de la préfecture de police, commençant par ces mots « pardonnez à la liberté », et finissant par ceux-ci « dont ma mère m’a donné l’avertit » », ladite lettre datée du dix du courant et signée Peyois, avons fait invitation de nous dire s’il la reconnaissait pour avoir été par lui souscrite et signée, et s’il en avouait tout le contenu.

    » A répondu, qu’il connaît parfaitement cette lettre pour être la même que celle qu’il a adressée à M. Parisot, chef de la deuxième division à la préfecture de police, elle est signée par lui. Le corps de cette lettre n’a pas été écrit par lui, il ne sait pas assez bien écrire pour cela, mais ce qu’elle contient a été dicté à l’écrivain (le nommé Lemaître, détenu en cette même prison), par lui déclarant, et pour preuve de ce qu’il avance, il est disposé à nous déclarer oralement tous les faits et circonstances contenus en icelle, sans qu’il soit besoin de notre part de les rappeler à sa mémoire, par la lecture de son contenu ; en conséquence, il déclare « que lors de l’instruction de l’affaire qui l’amena au banc des accusés, et à la suite de laquelle il fut condamné à la peine des fers, quand il soutint publiquement que le sieur Vidocq lui avait donné une somme de trois francs pour acheter la pince à l’aide de laquelle il avait commis le vol, cause de sa condamnation, il dit un fait non-seulement inexact, mais tout-à-fait faux, car jamais pareille avance et pour pareil motif ne lui fut faite par ce fonctionnaire, et jamais encore, dans cette circonstance comme dans toute autre ; il n’a reçu de lui aucun secours en argent ; s’il avança cette fausseté en plein tribunal, il le fit à la suite de mauvais conseils qui lui furent donnés par les nommés Utinet et Chrestien, qui lui persuadèrent que par ce moyen seulement son affaire prendrait une tournure favorable, et qu’il ne serait pas condamné, d’autant mieux que s’il les faisait appeler l’un et l’autre comme témoins de ce qu’il avançait, ils soutiendraient son assertion, et qu’ils déposeraient dans le même sens que lui, et que même ils diraient qu’ils avaient vu donner la somme de trois francs ; ils allèrent même plus loin, ils lui persuadèrent qu’ils avaient à leur disposition un protecteur puissant, dont l’influence devait garantir lui déclarant, de toute espèce de condamnation. ou si cette condamnation devenait inévitable, devait lui servir utilement pour faire casser son jugement.

    » Ce fut encore par le conseil de ces deux individus, qu’il fit appeler à l’audience les nommés Lacour et Decostard, qui déposèrent les mêmes faits imputés par lui, déclarant, au sieur Vidocq, quoiqu’ils fussent absolument faux.

    » Après sa condamnation, ces mêmes individus exigèrent de lui qu’il se mît en appel, en lui promettant de lui fournir à leurs frais un défenseur, et de payer tout ce que cet appel occasionnerait de dépens. Sur cette dernière circonstantce, on pourra entendre la mère, à lui déclarant, qui reçut de la part de Lacour et Decostard les mêmes promesses et les mêmes avances ; elles lui furent faites chez un marchand de vin, place du Palais de justice, qu’on appelle M. Basile. Sa mère demeure avec son mari, rue du faubourg Saint-Denis, n° 143, chez M. Bestauret, propriétaire.

    » Ainsi, il doit, pour la satisfaction de sa conscience, et pour rendre hommage à la justice et à la vérité, désavouer ce qu’il a dit en plein tribunal, au désavantage du sieur Vidocq, contre sa moralité et contre son honneur ; il en demande humblement pardon.

    » Pour corroborer là déclaration qu’il vient de faire, il nous invite à entendre le nommé Lefebure, son co-accusé, et condamné comme lui dans la même affaire, qui est dans cette prison, lequel doit savoir par qui, et avec quel argent fut achetée la pince que j’avais dit avoir été payée de l’argent de M. Vidocq. »

    Lecture à lui faite de sa déclaration, a dit qu’elle contient vérité, qu’il y persiste, et a signé. Signé Peyois.

    Ensuite, avons fait appeler le nommé Lefebure. ci-dessus désigné et détenu en cette maison, auquel nous avons demandé s’il savait comment le nommé Peyois, s’était procuré la pince à l’aide de laquelle le vol qui a motivé leur condamnation commune, fut commis.

    A répondu que deux ou trois jours avant que le vol ne fût commis ; il avait vu cet instrument entre les mains dudit Peyois, qui, avant l’instruction de son affaire, lui avait toujours dit que c’était lui qui l’avait achetée trois francs ; mais jamais il ne dit que c’était M. Vidocq qui lui avait donné.l’argent. Ce fut au tribunal, et pendant l’instruction de leur affaire, qu’il sut pour la première fois que c’était M. Vidocq qui lui avait fourni les moyens de l’acheter.

    Qui est tout ce qu’a dit savoir, lecture à lui faite de sa déclaration, a dit qu’elle contient vérité, qu’il y persiste, et a signé.

    Signé Lefebure.

    Dont et de tout quoi il ai été rédigé le présent procès-verbal, pour être icelui transmis à M. le conseiller d’état préfet de police, dont acte, les jours, mois et an que dessus. Signé Recodère.