Page:Vie de Lazarille de Tormès, 1886.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
xv
PRÉFACE

Affirmons-le hardiment, cette tradition ne repose sur rien de solide. Le dire d’un bibliographe belge, André-Valére, qui, dans son Catalogus clarorum Hispaniæ scriptorum (1607), met le lepidum libellum au compte de Mendoza, ou le dire d’un autre belge, André Schott, qui, dans son Hispaniæ bibliotheca (1608), répète ce qu’a dit l’autre et ajoute que le grand politique et lettré aurait composé cette plaisante satire alors qu’il étudiait le droit à Salamanque : cela ne pèse pas une once.

Ce qui semble avoir donné quelque crédit à cette légende, ce sont certaines poésies burlesques et licencieuses que Mendoza laissa tomber de sa plume dans ses moments de loisir et de villégiature. Mais qu’ont de commun ces épîtres à la Berni, ces capitulos croustillants, d’un style aimable et lâché, souvent assez fade, et dépourvu de la grâce italienne du modèle, avec la phrase courte, incisive, la langue âpre, heurtée, parfois maladroite, mais d’une si singulière saveur du Lazarille ? Et entre les œuvres sérieuses du magnat, ses sonnets, ses élégies qui sentent d’une lieue leur cinquecento, entre son fragment historique sur la révolte des Morisques, exercice de style avant tout, tentative de rehausser la prose espagnole en la moulant sur la syntaxe grecque ou latine, et le castillan sans apprêt, si vivant et si fort dans sa rudesse, de la nouvelle satirique, quel rapport ? Aucun à notre avis. Il faudrait au moins signaler une apparence d’analogie entre les écrits authentiques de Mendoza et celui qu’on s’acharne, sans preuves, à lui attribuer. On ne l’a pas fait. Laissons donc dormir le grand Don Diègue dans cette bibliothèque de l’Escurial, enrichie de son legs splendide, où sa mémoire est le plus vénérée, laissons en paix le savant, le jurisconsulte et le diplomate : sa gloire est assez grande et d’un autre genre, sa fortune littéraire peut se passer d’être grossie de notre petit livret.