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PRÉFACE

gne. N’y aurait-il pas aussi quelque lointain cousinage entre notre nouvelle et un livre bizarre, mal composé, mais plein de détails de mœurs curieux, les Castagnettes (El Crotalon), qu’on nous a naguère exhumé et dont l’auteur est inconnu ? L’enfance de l’Alexandre de cette satire lucianesque n’a-t-elle pas quelque analogie avec les premières étapes de Lazarille ? Les deux livres, il est vrai, se ressemblent peu pour le style : autant le nôtre est sobre, nerveux, rapide, autant l’autre est lourdement pédant et enchevêtré, mais l’esprit en est à bien des égards le même.

Résignons-nous à ne pas savoir. L’inconvénient est d’ailleurs assez mince ; car, à moins qu’il ne fût un personnage considérable, auquel cas nous aurions sans doute quelques notions sur sa vie et les motifs qui l’ont fait écrire, l’auteur de Lazarille avec ou sans nom, qu’importe ? L’essentiel est d’avoir le livre.

Son succès en Espagne, qui fut grand et durable, n’a pas tenu seulement au fond même, à l’évidente ressemblance des portraits, à l’humour et à la verve si espagnols dont il est saturé, mais tout autant, si ce n’est plus, à la qualité de sa langue.

Il faut dire quelque chose de cette langue. Parmi les contemporains, les uns la placent très haut, la proclament inimitable : c’est le plus grand nombre ; d’autres font leurs réserves et même la rabaissent singulièrement. Ce Juan de Luna, « natif de Castille et interprète de la langue espagnole », qui, au temps de Louis XIII, vint chez nous corriger et continuer le Lazarille, ne cache pas son dédain pour ce langage, à son avis, barbare et démodé. « Tant de gens lisent ce livre et y étudient la langue espagnole, l’estimant un répertoire de toutes ses bonnes phrases ! Or, cela n’est pas ; car son langage est grossier, son style plat, sa phrase plus fran-