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PRÉFACE

çaise qu’espagnole. » Cette dernière remarque surtout est pour nous étonner, nous qui tenons le Lazarille pour une quintessence de la vieille prose castillane. Mais il était orfèvre le bon Luna et, partant, ne saurait être tenu pour juge impartial dans la question ; puis, comme contemporain, sinon disciple, des cultistes et conceptistes, qui avaient fait dévier le castillan de sa ligne droite pour le jeter dans le redondant et l’amphigourique, on conçoit qu’il trouvât plate et sèche la manière du vieux conteur du XVIe siècle. Qu’entend-il pourtant par une « phrase plus française qu’espagnole ? » J’imagine qu’il a été frappé de l’emploi vraiment excessif des pronoms je, tu, il, du premier surtout, alors que le castillan correct se contente de marquer la personne par la forme du verbe, n’employant le pronom que lorsqu’il y a lieu d’insister : decia, je disais ; mais yo decia, c’est moi qui disais. En outre des mots, communs jadis aux deux langues, n’étaient plus usités dans le castillan du XVIIe siècle ; on ne disait plus guère no curé de lo saber, je n’ai cure de le savoir, ni coraje pour colère, ni luengo pour long, etc. : archaïsmes donc, au point de vue de Luna, mais non pas gallicismes.

Avec la permission de maître Luna, nous jugeons différemment de ce langage. Il nous paraît d’une fort jolie facture, et ce que le reviseur a taxé de platitude, nous fait l’effet plutôt d’une remarquable sobriété, dont il est à déplorer que les Espagnols se soient départis. De la maladresse, il y en a dans ce livre ; l’auteur éprouve quelque gêne à bâtir une phrase un peu longue, il s’empêtre parfois et ses transitions sont pénibles ; trop de lourds adverbes et conjonctions : finalement, en ce temps, de manière que, de cette manière, etc. En somme, une certaine gaucherie dans la construction, et comment en serait-il autrement ? Rappelons-nous que le livre date