Page:Vigny - Collection des plus belles pages, 1914.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ALFRED DE VIGNY

ques qui ont écoulé aux portes du salon ; — les dernières scènes de Chatterton, dont Vigny a voulu faire le symbole du poète maudit et de lui-même : sa conception subsiste encore.

Les lettres à Marie Dorval nous diront encore la qualité de sa passion et nous révéleront le Vigny secret d’une tendresse si profonde et si sincère. Il était de ces hommes hautains et orgueilleux qui ne croient pas s’humilier en agenouillant leur orgueil aux pieds d’une femme. Mais son adoration se fit tyrannique, obsédante, et lassa l’idole. Il est trop facile de reprocher à Marie Dorval de n’avoir pas su préserver le cœur de Vigny du désespoir : il fut lui-même son propre bourreau. Son intelligence avait bien compris qu’ « on ne peut répandre son âme dans une autre âme que jusqu’à une certaine hauteur », mais sa sensibilité s’obstinait à vouloir envahir et submerger cette âme. Vigny se retrouva seul avec sa tristesse, mais son orgueil blessé se releva et il prit désormais l’attitude de son Moïse, isolé dans sa propre grandeur, génie qui ne peut communier avec les mortels :

Seigneur, vous m’avez fait puissant et solitaire ! Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre. Il s’endormit du sommeil de la mort, sans espoir et sans désespoir, assuré que son œuvre était bon. De petits esprits, qui veulent tout ramener dans leur cercle étroit, ont parlé de la conversion de Vigny