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JOURNAL D’UN POÈTE

moment, et qui consentent à lire leurs poëmes dans des salons.

L’un Hamlet, l’autre Macbeth, traduits ; l’autre des vers satiriques. Ils vont s’user dans ce frottement, perdre leur caractère et s’arrondir comme des cailloux.

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J’ai remarqué que l’habitude de voir le défaut de chaque œuvre tourne à l’accroissement de l’ennui. Pour accroître le plaisir, je m’amuse à présent à faire le contraire. Il est facile de supposer un sens caché à la plus mauvaise œuvre, et, en suivant cette idée que n’a pas eue l’auteur, de s’en faire pour son usage une œuvre sublime. — Cette opération, on ne cesse de la faire sur les morts ; je veux m’amuser à la faire sur les vivants. J’ai commencé cela hier à la Porte-Saint-Martin, sur le Monomane.

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Ce qui manque aux lettres, c’est la sincérité.
Après avoir vu clairement que le travail des livres et la recherche de l’expression nous conduit tous au paradoxe, j’ai résolu de ne sacrifier jamais qu’à la conviction et à la vérité, afin que cet élément de sincérité complète et profonde dominât dans mes livres et leur donnât le caractère sacré que doit donner la présence divine du vrai, ce carac-