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JOURNAL D’UN POÈTE

« De qui est donc ceci, maman ? lui dis-je, — De Jean-Jacques, me dit-elle. Sa fille heureuse, et puis mourir ! entends-tu ?» — Je me sauvai, sentant que je pleurais trop.

———

Mais, mon Dieu ! n’est-ce pas un bienfait de votre main, qu’après une tendresse si grande que la mienne, je n’aie pas eu la douleur de la voir périr il y a quatre ans, et que j’aie joui de sa voix et de sa vue pendant si longtemps ? que jaie pu l’amener à s’apaiser dans les irritations violentes de sa maladie, à reconnaître qu’elle était heureuse et vénérée, adorée et divertie de ses ennuis par des soins et des caresses sans fin ? à se plaire à la vue des tableaux et en écoutant la belle musique ? Est-ce pour qu’elle s’éteignît ainsi plus doucement, que vous avez permis qu’elle allât s’affaissant par degrés jusqu’à la fin et qu’elle conservât toujours cette sublime sérénité, et ce repos pur et profond ? — Je cherche inutilement des consolations dans cette assurance qu’elle devait finir manquant de la force de vivre, qu’elle n’a pas souffert et qu’elle a entendu mes paroles et y a répondu par son adieu. Donnez-moi, ô mon Dieu ! la certitude qu’elle m’entend et qu’elle sait ma douleur ; qu’elle est dans le repos bienheureux des anges