Page:Vigny - Le Trappiste, 1823.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

moissonnaient eux-mêmes, afin d’acquérir de quoi donner l’hospitalité à des voyageurs qui souvent sont venus chercher dans leur cloître un aliment à de lâches plaisanteries et à des récits ironiques et mensongers. Ce couvent, le seul de l’ordre qui fût en Espagne, y inspirait cependant une admiration universelle. En 1808, les troupes françaises, toujours généreuses quand on les laisse à la pente naturelle de leur caractère, ont respecté l’enceinte du monastère, et des soldats furent placés à toutes les portes pour le garantir des insultes.

Mais une invasion vaut mieux que la prudence d’une révolution.

Un décret des Cortès de 1821 a déclaré utile le terrain que les Trapistes occupaient ; des commissaires aux portes, des clés saisies, les scellés de la nation partout, et le bannissement, rien ne leur a manqué, pour leur malheur, des sages mesures du bien public ; et maintenant les voilà qui se présentent au seuil de nos maisons, pour demander un troisième tombeau, après qu’on les a dépouillés des deux premiers.

Heureux du moins sont les Français qui se trouvent parmi eux, que leur bouche si long-temps muette ne se soit ouverte que pour prononcer le langage de France. Aucun mot étranger n’a séparé leur adieu à la patrie des nouvelles paroles qu’ils lui viennent adresser ; mais c’est un langage bien douloureux qu’ils lui tiennent : « Comment se peut-il, viennent-ils nous dire, que des vieillards ne puissent pas trouver un coin de terre pour mourir, sans qu’une révolution ne la vienne labourer. Hélas ! elle la dit plus féconde dans ses mains ; mais elle n’y