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poèmes antiques et modernes

» J’ai failli, je l’aimais. Dieu punit cet amour,
» Elle fut enlevée en te laissant au jour.
» Le nom d’Emmanuel que la Terre te donne,
» C’est mon nom. J’ai prié pourvue Dieu te pardonne ;
» Va seul au mont Arar, prends ses rocs pour autels,
» Prie, et seul, sans songer au destin des mortels,
» Tiens toujours tes regards plus hauts que sur la Terre ;
» La mort de l’Innocence est pour l’homme un mystère[1] ;
» Ne t’en étonne pas, n’y porte pas tes yeux[2] ;
» La pitié du mortel t’est point celle des Cieux.
» Dieu ne fait point de pacte avec la race humaine ;
» Qui créa sans amour fera périr sans haine[3].
» Sois seul, si Dieu m’entend, je viens. » Il m’a quitté ;
Avec combien de pleurs, hélas ! l’ai-je écouté !
J’ai monté sur l’Arar, mais avec une femme[4]. »

Sara lui dit : « Ton âme est semblable à mon âme,
Car un mortel m’a dit : « Venez sur Gelboë,
» Je me nomme Japhet, et mon père est Noë.
» Devenez mon épouse, et vous serez sa fille ;
» Tout va périr demain, si ce n’est ma famille[5]. »

  1. Var : P2-, A-C2, innocence
  2. Var : D, les yeux
  3. Gessner, Tableau du Déluge : Ô Dieu, pardonne : nous mourons. Qu’est-ce que l’innocence de l’homme devant toi ?… — Relève ton courage. Une éternité de bonheur nous attend au-delà de cette vie… Oui, ma chère Sémire, élevons nos mains vers Dieu. Est-ce à des mortels de juger de ses voies ? Celui dont le souffle nous a animés envoie la mort aux justes et aux injustes. Mais heureux celui qui a marché dans le sentier de la vertu.
  4. Var : V2, auprès d’une femme.
  5. De même, dans C. et T., Japhet voudrait épouser Anah et la sauver avec lui : Plût à Dieu… que la dernière et la plus aimable ides filles de Caïn pût entrer dans l’Arche qui recevra le reste de la race de Seth ! (sc. 3).