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poèmes antiques et modernes

Ce fut alors qu’on vit des hôtes inconnus
Sur des bords étrangers tout à coup survenus ;
Le cèdre jusqu’au Nord vint écraser le saule ;
Les ours noyés, flottants sur les glaçons du pôle,
Heurtèrent l’éléphant près du Nil endormi[1],
Et le monstre, que l’eau soulevait à demi,
S’étonna d’écraser, dans sa lutte contre elle.
Une vague où nageaient le tigre et la gazelle.
En vain des larges flots repoussant les premiers.
Sa trompe tournoyante arracha les palmiers ;
Il fut roulé comme eux dans les plaines torrides,
Regrettant ses roseaux et ses sables arides.
Et de ses hauts bambous le lit flexible et vert.
Et jusqu’au vent de flamme exilé du désert.



Dans l’effroi général de toute créature,
La plus féroce même oubliait sa nature ;
195 Les animaux n’osaient ni ramper ni courir.
Chacun d’eux résigné se coucha pour mourir[2].

  1. Bernardin de St-Pierre, Études de la Nature, IVe étude (description du déluge) : Ce fut alors que tous les plans de la nature furent renversés. Des îles entières de glaces flottantes, chargées d’ours blancs, vinrent s’échouer parmi les palmiers de la zone torride ; et les éléphants de l’Afrique furent roulés jusque dans les sapins de la Sibérie, où l’on retrouve encore leurs grands ossements. — Le trait se retrouve dans Chateaubriand, Génie, 1er partie, l. IV, ch. 4, Du Déluge : Les dépouilles de l’éléphant des Indes s’entassèrent dans les régions de la Sibérie. — C’est une variante du thème posé par Ovide, Métam., I, 299-300 :

    Et modo qua graciles gramen carpsere capellae,
    Nunc ibi déformes ponunt sua corpora phocae.

  2. Byron, C. et T., sc. 5 : Les bêtes elles-mêmes, dans leur désespoir, cesseront de dévorer l’homme et de se dévorer entre elles, et le tigre rayé se couchera pour mourir à côté de l’agneau, comme s’il était son frère… — Le même détail se trouve dans Chateaubriand, Génie,