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Fit tomber un rayon sur son front innocent,
Par la beauté du jour un moment abusée,
Comme un lis abattu, secouant la rosée[1],
Elle entr’ouvrit les yeux et dit : « Emmanuel !
Avons-nous obtenu la clémence du Ciel[2] ?
J’aperçois dans l’azur la colombe qui passe,
Elle porte un rameau ; Dieu nous a-t-il fait grâce ?
— La colombe est passée et ne vient pas à nous.
— Emmanuel, la mer a touché mes genoux.
— Dieu nous attend ailleurs à l’abri des tempêtes.
— Vois-tu l’eau sur nos pieds ? — Vois le ciel sur nos têtes,
— Ton père ne vient pas ; nous serons donc punis ?
— Sans doute après la mort nous serons réunis[3].
— Venez, Ange du ciel, et prêtez-lui vos ailes !
— Recevez-la, mon père, aux voûtes éternelles ! »



Ce fut le dernier cri du dernier des humains.
Longtemps, sur l’eau croissante élevant ses deux mains.
Il soutenait Sara par les flots poursuivie ;
Mais, quand il eut perdu sa force avec la vie.
Par le ciel et la mer le monde fut rempli,
Et l’arc-en-ciel brilla, tout étant accompli[4].


Écrit à Oloron, dans les Pyrénées, en 1823[5].
  1. Var : P2, lys
  2. Var : P2, A, B, ciel
  3. Gessner, Tableau du Déluge : Loue le Seigneur, ô ma bouche ! versez des larmes de joie, mes yeux, jusqu’à ce que la mort vienne vous fermer ! Un ciel plein de béatitude nous attend. Vous nous y avez précédés, ô vous tous qui nous étiez si chers ! Nous vous suivrons, et bientôt nous vous y reverrons.
  4. Byron, Les Ténèbres (traduction de Bruguière de Sorsum, Lycée Français, octobre 1819) :
    Le temps enfin s’arrête, et tout est consommé.
  5. La date manque dans P2.