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poèmes antiques et modernes

III


Rien ne se voyait plus, pas même des débris ;
L’univers écrasé ne jetait plus ses cris.
Quand la mer eut des monts chassé tous les nuages,
On vit se disperser l’épaisseur des orages ;
Et les rayons du jour, dévoilant leur trésor,
Lançaient jusqu’à la mer des jets d’opale et d’or ;
La vague était paisible, et molle et cadencée.
En berceaux de cristal mollement balancée ;
Les vents, sans résistance, étaient silencieux ;
La foudre, sans échos, expirait dans les cieux ;
Les cieux devenaient purs, et, réfléchis dans l’onde.
Teignaient d’un azur clair l’immensité profonde.



Tout s’était englouti sous les flots triomphants.
Déplorable spectacle ! excepté deux enfants.
Sur le sommet d’Arar tous deux étaient encore.
Mais par l’onde et les vents battus depuis l’aurore.
Sous les lambeaux mouillés des tuniques de lin,
La vierge était tombée aux bras de l’orphelin ;
Et lui, gardant toujours sa tête évanouie,
Mêlait ses pleurs sur elle aux gouttes de la pluie[1].
Cependant, lorsqu’enfin le soleil renaissant

  1. Gessner, Tableau du Déluge : Ils étaient seuls, les flots avaient englouti tout le reste ; ils étaient seuls, au milieu de l’orage et des vents furieux… Sémire pressa son amant contre son cœur palpitant ; des larmes, mêlées avec les gouttes de la pluie, ruisselaient le long de ses joues pâles… Les bras défaillants de Sémin serrèrent la jeune fille évanouie ; ses lèvres tremblantes se turent ; il ne voyait plus la destruction d’alentour ; il ne voit que son amante évanouie penchée sur son sein… Il baisa ses joues pâles, lavées par l’eau froide de la pluie…