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la prison

J’effrayais mes geôliers de mes longs hurlements[1] ;
Des nuits, par mes soupirs, je mesurais l’espace ;
Aux hiboux des créneaux je disputais leur place,
Et, pendant aux barreaux où s’arrêtaient mes pas,
Je vivais hors des murs d’où je ne sortais pas[2][3]. »



Ici tomba sa voix. Comme après le tonnerre
De tristes sons encore épouvantent la terre,
Et, dans l’antre sauvage où l’effroi l’a placé.
Retiennent en grondant le voyageur glacé,
Longtemps on entendit ses larmes retenues
Suivre encore une fois des routes bien connues[4] ;
Les sanglots murmuraient dans ce cœur expirant.
Le vieux prêtre toujours priait en soupirant.
Lorsqu’un des noirs geôliers se pencha pour lui dire[5]
Qu’il fallait se hâter, qu’il craignait le délire.
Un nouveau zèle alors ralluma ses discours :
« Ô mon fils ! criait-il, votre vie eut son cours ;
» Heureux, trois fois heureux, celui que Dieu corrige !
» Gardons de repousser les peines qu’il inflige :
» Voici l’heure où vos maux vous seront précieux,
» Il vous a préparé lui-même pour les cieux[6].
» Oubliez votre corps, ne pensez qu’à votre âme ;

  1. Var : M, par (corr. : de) mes longs hurlemens ;
  2. Byron, Le Prisonnier de Chillon, XII : Je creusai des échelons dans le mur. Ce n’était pas pour m’échapper de ma prison… Seulement j’étais curieux de monter aux barreaux de ma fenêtre, et de reposer encore une fois ma vue sur ces montagnes que j’avais tant aimées.
  3. Entre 176 et 177, dans P1, A, ni filet ni interligne.
  4. Var : M, des routes trop (corr. : bien) connues ;
  5. Var : M, s’approcha (corr. : se pencha) pour lui dire
  6. Var : P1, A-C3, Cieux.