Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
poèmes antiques et modernes

— « Rends-toi donc, répond-il, ou meurs, car les voilà. »
Et du plus haut des monts un grand rocher roula.
Il bondit, il roula jusqu’au fond de l’abîme,
Et de ses pins, dans l’onde, il vint briser la cime.

— « Merci, cria Roland ; tu m’as fait un chemin[1]. »
Et jusqu’au pied des monts le roulant d’une main,
Sur le roc affermi comme un géant s’élance.
Et, prête à fuir, l’armée à ce seul pas balance.

III


Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux
Descendaient la montagne et se parlaient entre eux.
À l’horizon déjà, par leurs eaux signalées.
De Luz et d’Argelès se montraient les vallées[2].


    montagnes, sont autant de degrés qu’il escalade pour atteindre les hauteurs. Déjà son front terrible a dépassé l’abîme ; les perfides le voient, jettent leurs armes et s’enfuient en poussant d’affreux… Il sonne du cor, et le son qu’il en tire roule comme un tonnerre dans les gorges de Roncevaux… La sentinelle des châteaux lointains s’inquiète à ce bruit surnaturel qui se fait entendre jusqu’à l’armée française. Elle a soudain connu le danger de Rolland, car lui seul pouvait faire résonner avec tant de force le belliqueux instrument… Mais à mesure qu’elle s’avance à son secours, le bruit s’affaiblit, et le cor n’était plus animé que par les derniers soupirs de Rolland ; il expirait… et nos bataillons, entourant les bords de l’abîme, gémissent pendant trois jours sur le plus magnanime et le plus courageux des guerriers. » — Il peut être intéressant de rappeler que le tableau de Michallon, La mort de Roland (Musée du Louvre), avait été exposé au Salon de 1819.

  1. Var : O, Rolland
  2. Var : O, P2, Argèlez