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Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/239

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le trappiste

Il se tut. Il régna, de montagne en montagne,
Un bruit sourd qui semblait un soupir de l’Espagne.
Le Trappiste incliné mit sa main sur ses yeux[1].
On ne sait s’il pleura ; car, tranquille et pieux,
Levant son front creusé par les rides antiques,
Sa voix grave apaisa les bataillons rustiques :
Comme au vent du midi la neige au loin se fond[2],
La rumeur s’éteignit dans un calme profond.
La lune alors plus belle écartait un nuage,
Et du moine héroïque éclairait le visage ;
Troublé sur ses sommets et dans sa profondeur,
Le mont de tous ses bruits déployait la grandeur ;
Aux mots entrecoupés du vainqueur catholique,
Se mêlait d’un torrent la voix mélancolique[3],
Le froissement léger des mélèzes touffus,
D’un combat éloigné les coups longs et confus,
Et des loups affamés les hurlements funèbres[4],
Et le cri des vautours volant dans les ténèbres :



« Frères, il faut mourir ; qu’importe le moment ?
Et si de notre mort le fatal instrument
Est cette main des Rois qui, jadis salutaire,
Touchait pour les guérir les peuples de la terre ;
Quand même, nous brisant sous notre propre effort,
L’arche que nous portons nous donnerait la mort ;
Quand même par nous seuls la couronne sauvée
Écraserait un jour ceux qui l’ont relevée,

  1. Var : O1-O3, P2, Le Trapiste
  2. Var : O1, Comme la molle neige au vent du sud se fond,
  3. Var : O1-O3, P2, A, Se mêlaient
  4. Var v. 189-190 : O1, Et le cri des vautours volant dans les ténèbres, | Et réclamant déjà leurs alimens funèbres.