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Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/249

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la frégate la sérieuse


Car, étant son capitaine,
Comme un enfant je l’aimais :
J’aurais moins aimé peut-être
L’enfant que j’aurais vu naître ;
De son cœur on n’est pas maître,
Moi, je suis un vrai marin ;
Ma naissance est un mystère,
Sans famille, et solitaire[1],
Je ne connais pas la terre,
Et la vois avec chagrin.

XII


Mon banc de quart est mon trône,
J’y règne plus que les Rois[2] ;
Sainte Barbe est ma patronne ;
Mon sceptre est mon porte-voix ;
Ma couronne est ma cocarde ;
Mes officiers sont ma garde ;
À tous les vents je hasarde
Mon peuple de matelots.
Sans que personne demande
À quel bord je veux qu’il tende,
Et pourquoi je lui commande
D’être plus fort que les flots[3].

  1. Byron, Le Corsaire, I, 8 (il s’agit du corsaire Conrad) : Cet homme qui s’entoure de la solitude et du mystère (That man of loneliness and mystery) — et Fenimore Cooper, Le Pilote, ch. 2 : (c’est un vieux loup de mer qui parle) : Je suis né à bord d’un navire et je n’ai jamais compris à quoi servait la terre… La vue de la terre me met toujours mal à l’aise.
  2. Byron, Le Corsaire, I, 3 : Qui n’affronterait le canon et le naufrage pour plaire au roi de cette ville flottante ?
  3. Byron, Le Corsaire, I, 2 (portrait de Conrad) : « Qu’on vogue vers ce rivage. » — On y vogue. — « Qu’on se prépare au combat. »