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Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/259

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En forme de troupeaux, de village aux toits roses
Ou bleus, d’arbres rangés, de fleurs sous l’onde écloses,
De murs blancs, de bosquets bien noirs, de lacs bien verts,
Et de chênes tordus par la poitrine ouverts ;
Elle voyait ainsi tout préparé pour elle :
Enfant, elle jouait, en marchant, toute belle,
Toute blonde, amoureuse et fière ; et c’est ainsi
Qu’ils allèrent à pied jusqu’à Montmorency.

II


Ils passèrent deux jours d’amour et d’harmonie.
De chants et de baisers, de voix, de lèvre unie,
De regards confondus, de soupirs bienheureux,
Qui furent deux moments et deux siècles pour eux[1],
La nuit, on entendait leurs chants, dans la journée,
Leur sommeil ; tant leur âme était abandonnée
Aux caprices divins du désir ! Leurs repas
Étaient rares, distraits ; ils ne les voyaient pas.
Ils allaient, ils allaient au hasard et sans heures,
Passant des champs aux bois, et des bois aux demeures,
Se regardant toujours, laissant les airs chantés
Mourir, et tout à coup restaient comme enchantés[2].
L’extase avait fini par éblouir leur âme,

  1. « Toute la journée on les avait entendus chanter, et dix minutes avant l’accomplissement de leur funeste dessein, ils étaient revenus gaiment du bois et s’étaient approchés pour se chauffer au feu des cuisines. »
  2. Var : O1, et tout d’un coup