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poèmes antiques et modernes

Moïse, homme de Dieu, s’arrête, et, sans orgueil,
Sur le vaste horizon promène un long coup d’œil.
Il voit d’abord Phasga, que des figuiers entourent ;
Puis, au delà des monts que ses regards parcourent,
S’étend tout Galaad, Ephraïm, Manassé,
Dont le pays fertile à sa droite est placé ;
Vers le Midi, Juda, grand et stérile, étale
Ses sables où s’endort la mer occidentale ;
Plus loin, dans un vallon que le soir a pâli.
Couronné d’oliviers, se montre Nephtali ;
Dans des plaines de fleurs magnifiques et calmes
Jéricho s’aperçoit, c’est la ville des palmes ;
Et, prolongeant ses bois, des plaines de Phogor
Le lentisque touft’u s’étend jusqu’à Ségor[1].
Il voit tout Chanaan, et la terre promise,


    l’analyse de Madame de Staël, De l’Allemagne, IIe partie, ch. 13, De la Poésie Allemande : Cassandre, au moment où la fête des noces de Polyxène avec Achille va commencer, est saisie par le pressentiment des malheurs qui résulteront de cette fête : elle se promène triste et sombre dans les bois d’Apollon, et se plaint de connaître l’avenir qui trouble toutes les jouissances. On voit dans cette ode le mal que fait éprouver à un être mortel la prescience d’un dieu. La douleur de la prophétesse n’est-elle pas ressentie par tous ceux dont l’esprit est supérieur et le caractère passionné ? Schiller a su montrer, sous une forme toute poétique, une grande idée morale : c’est que le véritable génie, celui du sentiment, est victime de lui-même, quand il ne le serait pas des autres. Il n’y a point d’hymen pour Cassandre, non qu’elle soit insensible, non qu’elle soit dédaignée : mais son âme pénétrante dépasse en peu d’instants et la vie et la mort, et ne se reposera que dans le ciel.

  1. Deutéronome, XXXIV, 1-3 : Moïse monta donc de la plaine de Moab sur la montagne de Nebo au haut de Phasga vis-à-vis de Jéricho ; et le Seigneur lui fit voir de là tout le pays de Galaad jusqu’à Dan, tout Nephtali, toute la terre d’Ephraïm et de Manassé, et tout le pays de Juda jusqu’à la mer occidentale, tout le côté du midi, toute l’étendue de Jéricho, qui est la ville des palmes, jusqu’à Segor. — Le terme de « lentisque » introduit dans cette description vient de l’histoire de Suzanne (Daniel, XIII, 54), qui est le seul passage de la Bible où il soit employé. — Deutér., XXXIV, 6 : [Le Seigneur] ensevelit [Moïse] dans la vallée du pays de Moab, vis-à-vis de Phogor.