Vous m’avez fait vieillir puissant et solitaire,
Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre.
Sitôt que votre souffle a rempli le berger.
Les hommes se sont dit : Il nous est étranger[1] ;
Et leurs yeux se baissaient devant mes yeux de flamme,
Car ils venaient, hélas ! d’y voir plus que mon âme[2],
J’ai vu l’amour s’éteindre et l’amitié tarir ;
Les vierges se voilaient et craignaient de mourir[3],
M’enveloppant alors de la colonne noire,
J’ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire[4],
Et j’ai dit dans mon cœur : Que vouloir à présent ?
Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant,
Ma main laisse l’effroi sur la main qu’elle touche[5],
L’orage est dans ma voix, l’éclair est sur ma bouche[6] ;
Aussi, loin de m’aimer, voilà qu’ils tremblent tous[7].
Et, quand j’ouvre les bras, on tombe à mes genoux.
- ↑ Byron, Manfred, II, 2 : Dès ma jeunesse, mon esprit ne frayait pas avec les âmes des hommes… Mes joies, mes chagrins, mes passions et mon génie avaient fait de moi un étranger.
- ↑ Exode, XXXIV, 50 : Aaron et les enfants d’Israël voyant que le visage de Moïse jetait des rayons, craignirent de s’en approcher.
- ↑ Chateaubriand, pass. cité : La postérité de Jacob se voile la tête dans la crainte de voir Dieu et de mourir. — Et Exode, XX, 19 : Mais que le Seigneur ne nous parle point, de peur que nous ne mourions.
- ↑ Exode, XIII, 21 : Et le Seigneur marchait devant eux pour leur montrer le chemin, paraissant durant le jour dans une colonne de nuée…
- ↑ Var : M, Ma main laisse une trace à (corr. : l’effroi sur) la main qu’elle touche ;
- ↑ Var : M, Comme la voix d’un fleuve est la voix de ma bouche ;
- ↑ Var : M, 1er main, Au lieu d’amour Moïse enfin (le vers est inachevé) ; — 2e main, texte actuel.