Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’un pauvre paysan et d’une pauvre paysanne, enlevés presque en même temps de la petite vérole, que je n’avais même pas vus. À seize ans, j’étais sauvage et sot ; mais je savais un peu de latin, beaucoup de musique, et, dans toute sorte de travaux de jardinage, on me trouvait assez adroit. Ma vie était fort douce et fort heureuse, parce que Pierrette était toujours là, et que je la regardais toujours en travaillant, sans lui parler beaucoup cependant.

Un jour que je taillais les branches d’un des hêtres du parc et que je liais un petit fagot Pierrette me dit :

« Oh ! Mathurin, j’ai peur. Voilà deux jolies dames qui viennent devers nous par le bout de l’allée. Comment allons-nous faire ? »

Je regardai, et, en effet, je vis deux jeunes femmes qui marchaient vite sur les feuilles sèches, et ne se donnaient pas le bras. Il y en avait une un peu plus grande que l’autre, vêtue d’une petite robe de soie rose. Elle courait presque en marchant, et l’autre, tout en l’accompagnant, marchait presque en arrière. Par instinct, je fus saisi d’effroi comme un pauvre paysan que j’étais, et je dis à Pierrette :

« Sauvons-nous ! »

Mais bah ! nous n’eûmes pas le temps, et ce qui redoubla ma peur, ce fut de voir la dame rose faire signe à Pierrette, qui d