Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/124

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evint toute rouge et n’osa pas bouger, et me prit bien vite par la main pour se raffermir. Moi, j’ôtai mon bonnet et je m’adossai contre l’arbre, tout saisi.

Quand la dame rose fut tout à fait arrivée sur nous, elle alla tout droit à Pierrette, et, sans façon, elle lui prit le menton pour la montrer à l’autre dame, en disant :

« Eh ! je vous le disais bien : c’est tout mon costume de laitière pour jeudi. — La jolie petite fille que voilà ! Mon enfant, tu donneras tous tes habits, comme les voici, aux gens qui viendront te les demander de ma part, n’est-ce pas ? je t’enverrai les miens en échange.

— Oh ! madame ! » dit Pierrette en reculant.

L’autre jeune dame se mit à sourire d’un air fin, tendre et mélancolique, dont l’expression touchante est ineffaçable pour moi. Elle s’avança, la tête penchée, et, prenant doucement le bras nu de Pierrette, elle lui dit de s’approcher, et qu’il fallait que tout le monde fît la volonté de cette dame-là.

— « Ne va pas t’aviser de rien changer à ton costume, ma belle petite, reprit la dame rose, en la menaçant d’une petite canne de jonc à pomme d’or qu’elle tenait à la main. Voilà un grand garçon qui sera soldat, et je vous marierai. »

Elle était si belle, que je me souviens de la tentation incroyable que j’eus de me mettre à