Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/215

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Le Pape, qui jusque-là n’avait cessé de demeurer sans mouvement, comme une statue égyptienne, releva lentement sa tête à demi baissée, sourit avec mélancolie, leva ses yeux en haut et dit, après un soupir paisible, comme s’il eût confié sa pensée à son ange gardien invisible :

«  Commediante !  »

Bonaparte sauta de sa chaise et bondit comme un léopard blessé. Une vraie colère le prit ; une de ses colères jaunes. Il marcha d’abord sans parler, se mordant les lèvres jusqu’au sang. Il ne tournait plus en cercle autour de sa proie avec des regards fins et une marche cauteleuse ; mais il allait droit et ferme, en long et en large, brusquement, frappant du pied et faisant sonner ses talons éperonnés. La chambre tressaillit ; les rideaux frémirent comme les arbres à l’approche du tonnerre ; il me semblait qu’il allait arriver quelque terrible et grande chose ; mes cheveux me firent mal et j’y portai la main malgré moi. Je regardai le Pape, il ne remua pas ; seulement il serra de ses deux mains les têtes d’aigle des bras du fauteuil.

La bombe éclata tout à coup.

— « Comédien ! Moi ! Ah ! je vous donnerai des comédies à vous faire tous pleurer comme des femmes et des enfants. — Comédien ! — Ah ! vous n’y êtes pas, si vous croyez qu’on puisse avec moi faire du sang-froid insolent ! Mon théâtre,