Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/220

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s’enflammant, riant à moitié avec ironie, il débita ceci, à peu près, tout mêlé de trivial et de grandiose, selon son usage, en parlant avec une volubilité inconcevable, expression rapide de ce génie facile et prompt qui devinait tout, à la fois, sans étude.

— « La naissance est tout, dit-il ; ceux qui viennent au monde pauvres et nus sont toujours des désespérés. Cela tourne en action ou en suicide, selon le caractère des gens. Quand ils ont le courage, comme moi, de mettre la main à tout, ma foi ! ils font le diable. Que voulez-vous ? Il faut vivre. Il faut trouver sa place et faire son trou. Moi, j’ai fait le mien comme un boulet de canon. Tant pis pour ceux qui étaient devant moi. — Qu’y faire ? Chacun mange selon son appétit ; moi, j’avais grand’faim ! — Tenez, Saint-Père, à Toulon, je n’avais pas de quoi acheter une paire d’épaulettes, et au lieu d’elles j’avais une mère et je ne sais combien de frères sur les épaules. Tout cela est placé à présent, assez convenablement, j’espère. Joséphine m’avait épousé, comme par pitié, et nous allons la couronner à la barbe de Raguideau, son notaire, qui disait que je n’avais que la cape et l’épée. Il n’avait, ma foi ! pas tort. — Manteau impérial, couronne, qu’est-ce que tout cela ? Est-ce à moi ? — Costume ! costume d’acteur ! Je vais l’endosser pour une heure, et j’en aurai assez. Ensuite je reprendrai mon petit habit