Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/221

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d’officier, et je monterai à cheval ; toute la vie à cheval ! — Je ne serai pas assis un jour sans courir le risque d’être jeté à bas du fauteuil. Est-ce donc bien à envier ? Hein ?

« Je vous le dis, Saint-Père ; il n’y a au monde que deux classes d’hommes : ceux qui ont et ceux qui gagnent.

« Les premiers se couchent, les autres se remuent. Comme j’ai compris cela de bonne heure et à propos, j’irai loin, voilà tout. Il n’y en a que deux qui soient arrivés en commençant à quarante ans : Cromwell et Jean-Jacques ; si vous aviez donné à l’un une ferme, et à l’autre douze cents francs et sa servante, ils n’auraient ni prêché, ni commandé, ni écrit. Il y a des ouvriers en bâtiments, en couleurs, en formes et en phrases ; moi, je suis ouvrier en batailles. C’est mon état. — À trente-cinq ans, j’en ai déjà fabriqué dix-huit qui s’appellent : Victoires. — Il faut bien qu’on me paye mon ouvrage. Et le payer d’un trône, ce n’est pas trop cher. — D’ailleurs je travaillerai toujours. Vous en verrez bien d’autres. Vous verrez toutes les dynasties dater de la mienne, tout parvenu que je suis, et élu. Élu, comme vous, Saint-Père, et tiré de la foule. Sur ce point nous pouvons nous donner la main. »

Et, s’approchant, il tendit sa main blanche et brusque vers la main décharnée et timide du bon Pape, qui, peut-être attendri par le ton de