Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/222

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bonhomie de ce dernier mouvement de l’Empereur, peut-être par un retour secret sur sa propre destinée et une triste pensée sur l’avenir des sociétés chrétiennes, lui donna doucement le bout de ses doigts, tremblants encore, de l’air d’une grand’mère qui se raccommode avec un enfant qu’elle avait eu le chagrin de gronder trop fort. Cependant il secoua la tête avec tristesse, et je vis rouler de ses beaux yeux une larme qui glissa rapidement sur sa joue livide et desséchée. Elle me parut le dernier adieu du Christianisme mourant qui abandonnait la terre à l’égoïsme et au hasard.

Bonaparte jeta un regard furtif sur cette larme arrachée à ce pauvre cœur, et je surpris même, d’un côté de sa bouche, un mouvement rapide qui ressemblait à un sourire de triomphe. — En ce moment, cette nature toute-puissante me parut moins élevée et moins exquise que celle de son saint adversaire ; cela me fit rougir, sous mes rideaux, de tous mes enthousiasmes passés ; je sentis une tristesse toute nouvelle en découvrant combien la plus haute grandeur politique pouvait devenir petite dans ses froides ruses de vanité, ses pièges misérables et ses noirceurs de roué. Je vis qu’il n’avait rien voulu de son prisonnier, et que c’était une joie tacite qu’il s’était donnée de n’avoir pas faibli dans ce tête-à-tête, et s’étant laissé surprendre à l’émotion de la colère, de faire