Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/228

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de nouvelle et mauvaise invention s’était risqué fort avant avec quatre autres bâtiments pareils ; et nous étions tout fiers de notre audace, lancés ainsi depuis le matin, lorsque nous découvrîmes tout à coup les paisibles jeux de la frégate. Ils nous eussent sans doute paru fort gracieux et poétiques vus de la terre ferme, ou seulement si elle se fût amusée à prendre ses ébats entre l’Angleterre et nous ; mais c’était, au contraire, entre nous et la France. La côte de Boulogne était à plus d’une lieue. Cela nous rendit pensifs. Nous fîmes force de nos mauvaises voiles et de nos plus mauvaises rames, et pendant que nous nous démenions, la paisible frégate continuait à prendre son bain de mer et à décrire mille contours agréables autour de nous, faisant le manège, changeant de main comme un cheval bien dressé, et dessinant des S et des Z sur l’eau de la façon la plus aimable. Nous remarquâmes qu’elle eut la bonté de nous laisser passer plusieurs fois devant elle sans tirer un coup de canon, et même tout d’un coup, elle les retira tous dans l’intérieur et ferma tous ses sabords. Je crus d’abord que c’était une manœuvre toute pacifique et je ne comprenais rien à cette politesse. — Mais un gros vieux marin me donna un coup de coude et me dit : Voici qui va mal. En effet, après nous avoir bien laissés courir devant elle comme des souris devant un chat, l’aimable et belle frégate arriva